Du 27 septembre au 4 octobre, c’était la Mêlée Numérique. Cet évènement annuel rassemble des professionnel-les du numérique autour de conférences et ateliers sur diverses thématiques.
Accessibilité, cybersécurité, transformation numérique, e-santé, inclusion, il y en a généralement pour tous les goûts et c’est le moment de découvrir et rencontrer les acteurices locaux.
J’assiste presque tous les ans à ce salon depuis 2015. Et comme chaque année, mon bilan est partagé entre intérêt pour les sujets abordés, découvertes de structures dont je vais pouvoir suivre le travail, mais aussi déception face à des thématiques trop rapidement survolées.
C’est parti pour mon compte-rendu de cette édition 2022 ! Il sera en deux parties pour être plus digeste. Ici, le bilan global et les conférences sur le numérique inclusif et responsable. Ensuite, les conférences sur la transformation numérique des TPE-PME.
Bilan global
Comme je le disais en intro, certaines conférences avaient des titres prometteurs mais n’ont malheureusement pas creusé suffisamment leur sujet. S’il est difficile d’être exhaustif-ves en seulement une heure, certaines tables rondes m’ont surtout semblé être un prétexte pour certain-es intervenant-es de faire leur pub.
Vous me direz que c’est prévisible sur un évènement de ce genre, mais le technosolutionnisme général m’a aussi semblé déplacé à l’heure où on devrait plutôt réfléchir à la sobriété.
Je ne résumerai donc que les tables rondes que j’ai trouvées constructives et dont j’ai apprécié le contenu.
J’ai été très agréablement surprise de constater que la première conférence que j’ai vue, sur l’accessibilité numérique, était traduite en LSF et sous-titrée en temps réel. C’était hélas la seule de tout le salon, démontrant plutôt une posture qu’une réelle volonté de mise en accessibilité.
L’intégralité des séquences étaient en revanche accessibles en live sur YouTube et sur le site de la Mêlée, ce qui est une très bonne nouvelle pour les personnes qui ne pouvaient pas se rendre sur place. Quelques soucis de son ont rendu l’écoute de certaines prises de parole difficile, mais l’équipe technique a fait un très bon travail.
Le rôle de la Ville pour l’accessibilité
Laura Thiant – Odyssécure
Jade Vincent – Agence Rose Primaire, Good IT!
Pierre Mestre – Service web Région Occitanie
Sébastien Séraphin – Service handicap et accessibilité Ville de Toulouse
Antoine Remy – Ava sous-titrage automatique
Comme évoqué précédemment, cette table ronde a été entièrement interprétée en LSF et sur-titrée en vélotypie*, ce qui était pour moi une première à un évènement pro de ce type.
Un constat de la part des deux représentants des services publics : les personnes handicapées sont en général les seules à participer aux dialogues mis en places avec les citoyen-nes. Pourtant, comme l’indique Pierre Mestre “on est toustes un jour face à une interface numérique qui nous déroute”. L’accessibilité concerne tout le monde.
Les collectivités sont de plus en plus actives sur la mise en accessibilité, mais les améliorations semblent tarder à se faire ressentir par les usager-es. Sébastien Séraphin indique qu’il y a du mieux, même si ce n’est pas assez rapide. Il pointe les limites de budget et de personnes formées au sein des équipes. Il précise cependant que l’accessibilité est un vecteur de développement économique.
Jade Vincent fait un rappel du cadre légal du RGAA*. Depuis le 23 septembre 2020 toutes les collectivités et organismes publics doivent rendre accessibles aux personnes handicapées leurs sites internet, intranet et extranet. On constate pourtant qu’entre 80 et 90% des sites en France ne sont pas conformes au RGAA, dont bon nombre de sites des services publics.
Elle ajoute que les concepteurices ont des biais et sont essentiellement des hommes blancs valides. Pierre Mestre confirme : “En tant que webmaster, j’ai créé plus d’inégalités que j’en ai résolues”. Un bon indicateur est aussi le taux de recrutement des personnes ayant une reconnaissance de qualité de travailleur handicapé (RQTH) qui est toujours aussi faible…
On note néanmoins un vrai sursaut des organismes publics, avec entre autres des ressources proposées par l’Etat comme des recommandations et des extraits de design système*. On comprend enfin qu’il est nécessaire de se concentrer sur les usager-es, de créer des sites qui servent.
Actuellement, la plupart des outils numériques ne sont pas assez matures et sont trop excluants. Il faut cesser de croire qu’une seule interface peut répondre à toutes les demandes. Les sites doivent être accessibles quels que soient la pratique ou le besoin, on n’a pas besoin de gadgets. Plutôt que le développement d’un outil miracle, on doit mettre en place une démarche structurante d’amélioration de l’accessibilité.
Antoine Rémy conclue en confirmant que les dispositifs sont couteux mais qu’il faut parler d’obligation de moyens et non pas d’obligation de résultats. Il note enfin qu’heureusement, les étudiant-es en développement et en UX* s’intéressent de plus en plus à l’accessibilité ce qui laisse augurer une vraie amélioration à venir.
Comment allier sécurité informatique et numérique responsable
Marylyne Boubee – SSI Conseil Départemental de Haute Garonne
Thomas Hardy – Commercial Cybersecurité Microsoft
Patrick Armusieaux – iMSA (mutualité sociale agricole)
Thierry Bardy – IMS Network (cybersécurité)
France Charruyer – Avocate en droit des nouvelles technologies
Le constat de départ est qu’il est aujourd’hui impossible d’être complètement indépendant numériquement. On doit utiliser des outils technologiques qu’on ne possède pas et qu’on ne maitrise pas.
Il est nécessaire de se questionner collectivement sur la souveraineté et la résilience numériques. Mais cela ne pourra pas se faire sans volonté politique.
Les services SSI* de plusieurs collectivités de Haute Garonne se sont réunis en association pour avoir plus de poids face aux éditeurs d’application dans la demande d’une meilleure sécurisation des données. La force de la mutualisation leur a permis de partager des savoirs et compétences, ainsi que du poids politique.
La sécurité numérique est extrêmement importante parce que de nombreux métiers reposent dessus. Tous les employés doivent être sensibilisés à la cybersécurité, pas seulement les services IT et les managers parce que la plupart des failles sont humaines plus que techniques.
La sécurité informatique relève de plusieurs enjeux. Tout d’abord, un enjeu de responsabilité et de conformité. En effet, depuis l’élargissement le 1er septembre de la loi sur les lanceurs d’alerte, les entreprises et organisations publiques sont responsables des données qu’elles traitent. De même, le RGPD* a favorisé le “privacy by design”, c’est-à-dire que désormais les sites et applications respectent la vie privée des utilisateurices dès la conception.
C’est un enjeu de gouvernance également : on doit être plus maîtres de nos choix, en connaissance de toutes les clauses d’utilisation d’un outil numérique. Les notions de responsabilité du consommateur s’appliquent aussi en ligne. On doit reprendre le contrôle, s’autonomiser, et ce dès l’enfance.
Enfin, c’est un enjeu de temps et de coût. Il faut se renseigner, se former, choisir et maintenir les solutions. Il n’y a pas de retour sur investissement visible, mais il faut voir la sécurité comme une assurance. Après une cyberattaque, il peut falloir des mois pour réparer les dommages ou récupérer les données perdues. Marylyne Boubee résume : “La cybersécurité n’est pas une contrainte mais un gage de confiance”.
Pour pallier les difficultés techniques de la sécurité, des entreprises, organisations publiques et l’ANSSI mettent en place des bug bounty. Les personnes arrivant à trouver des failles sur les services ou à répondre à des challenges de sécurité proposés sont ensuite recrutées par ces structures.
D’un point de vue écologique, il est important de réfléchir à quelles données on veut garder en ligne ou en local, que ce soit en tant que personne ou qu’entreprise. Le cloud n’est pas la réponse à tout. France Charruyer indique que la RSE est aussi liée à la cybersécurité, les deux doivent impliquer toute la structure, pas seulement les services informatiques et la direction.
Les impacts du traitement des données
Jérôme Béranger – GoodAlgo
Gaël Philippe – Datasulting
Thibault Lucas – Picsel IA
Laura Thiant – Odyssécure
La table ronde a démarré avec un retour sur la tendance de la “big data” qui était très forte jusque récemment. Maintenant, on incite à réfléchir aux besoins réels avant de collecter des données.
Les intervenant-es s’accordent à constater que la plupart des entreprises ne savent pas gérer et exploiter leurs données.
Il faut identifier et prioriser les données pour savoir comment les stocker. Chaque collecte impliquera une durée de conservation variable selon le besoin (en faisant attention à la durée maximum légale).
Le tri au quotidien est une bonne pratique à avoir : on supprime ce qui n’est pas nécessaire et on garde seulement les messages et documents utiles.
Il est important de savoir d’où proviennent les données pour les exploiter au mieux. Même pour l’entrainement des intelligences artificielles, les entreprises tendent à utiliser moins de données, pour réduire les coûts mais aussi pour mieux les utiliser.
Le RGPD a un article indiquant que les opérateurs de données doivent à tout moment justifier la nécessité de chaque information collectée et les impacts qu’elle peut avoir sur la personne qu’elle concerne en cas de fuite.
L’éthique est également un élément à ne pas négliger quand on traite des données personnelles.
L’inclusion numérique en Occitanie
Audrey Laur – Lot Numérique
Hélène Roussel – Montpellier Méditerranée Métropole
Philippe Soursou – Pôle Emploi Hérault
Bruno Ollier – Conseil Départemental de la Haute Garonne
Florent Faure – Orange
Louis Salgueiro – Pôle inclusion numérique La Mêlée
Il existe une vraie problématique de fracture numérique en Occitanie. Cela peut notamment entrainer des refus d’accès aux droits et aux démarches des citoyen-nes. Contrairement aux idées reçues, beaucoup de jeunes sont en difficulté avec les outils numériques. Il est cependant difficile d’évaluer leurs besoins. Environ la moitié des personnes ayant recours aux structures d’aide numérique ont entre 40 et 55 ans, c’est donc un problème qui concerne toutes les populations et pas seulement les séniors.
Plusieurs solutions ont été créées pour pallier cette rupture. Parmi elle, on peut citer le pass numérique qui est un chéquier permettant de financer des formations aux démarches et à l’utilisation d’outils en ligne.
La création du métier de conseiller numérique France Services il y a quelques années est une des solutions les plus importantes. Ces médiateurices ont pour rôle d’aider les usager-es à apprendre à utiliser les outils numériques, notamment pour les démarches administratives. Iels sont disponibles dans les mairies, les médiathèques, les centres d’action sociale, les offices de tourisme, les CCI…
L’exemple du département du Lot.
Le syndicat mixte Lot Numérique a été créé en 2019 avec pour objectif de favoriser le déploiement de l’internet très haut débit dans le département.
Son deuxième but est de connecter (pun intended) les conseiller-es numériques et de mutualiser leurs compétences et connaissances. Cela s’est traduit par plusieurs actions :
- Des rencontres trimestrielles
- La mise en place d’outils de travail et de conversation communs
- La formation entre pairs, toustes n’ayant pas des expertises dans les mêmes domaines
- Favoriser le lien entre les Maisons France Services
Ce réseau d’entraide a également permis aux médiateurices d’échanger sur leur métier, qui est très technique mais aussi très social. Enfin, il a mis en lumière les disparités entre agent-es, certain-es étant très isolé-es et sur-sollicité-es. Une meilleure répartition des déplacements a donc pu être organisée.
Le constat de la mauvaise connaissance du dispositif chez les citoyen-nes a entrainé la rédaction d’un annuaire des lieux et conseiller-es numériques. Cet annuaire a bien sûr été créé au format papier et diffusé dans de nombreux établissements recevant du public. Grâce à cet outil et à une large campagne de communication, les Lotois-es connaissent désormais de plus en plus ce service à leur disposition.
Conclusion
Merci d’avoir lu jusqu’ici ! Ce que je retiens de ces différents échanges, c’est que malgré beaucoup de socialwashing* et de langue de bois, il y a une véritable prise de conscience des défauts et biais du numérique, avec une volonté croissante de les limiter. Sans grande surprise, c’est le secteur public, via des lois et des initiatives collectives, qui permet d’avancer sur certaines thématiques comme l’accessibilité et le respect des utilisateurices. Mais les TPE/PME ont aussi leur rôle à jouer. En créant des solutions innovantes, ou tout simplement par une transformation numérique raisonnée.
Ça tombe bien, la transformation numérique est le sujet principal de la deuxième partie de ce compte-rendu. Elle est disponible ici !
Lexique
RGAA : Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité. Ensemble des lois françaises relatives à l’obligation d’accessibilité, qui concerne l’accessibilité numérique également.
RGPD : Règlement général sur la protection des données. Loi européenne appliquée depuis mai 2018 qui régit la collecte et l’utilisation des données personnelles.
Socialwashing : Anglicisme basé sur la notion de greenwashing et adaptée à l’action sociale. C’est le fait pour une entreprise de se donner une image trompeuse de responsable socialement. Par exemple, une multinationale qui créerait un fonds humanitaire alors qu’elle exploite ses salariés et sous-traitants.
SSI : Sécurité des systèmes d’information. Ensemble des moyens mis en place pour protéger un système d’information (généralement les ressources numériques).
UX : Pour user experience, ou expérience utilisateur. Qualité du vécu des utilisateurices dans un environnement physique ou numérique. Cette discipline rassemble ergonomie, utilisabilité et psychologie.
Design système : Bibliothèque d’éléments visuel et de code utilisée en UX. Elle permet d’avoir un référentiel afin de créer des écosystèmes cohérents et homogènes.
Vélotypie : Technique de saisie de texte pour créer des sous-titres en temps réel. Plutôt qu’un clavier classique, la personne utilise des touches qui créent des syllabes pour une écriture plus rapide.